"Le Monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page." Saint Augustin.

jeudi 10 mars 2011

Les insurgés


John Mason et Stanley Goodspeed n'aiment pas l'injustice. Dans un système si prompt à considérer un bon citoyen comme un danger, où la fascination pour la norme est telle que les rues sont perpendiculaires, où les employés du mois ont une place de parking réservée, le destin de ces deux hommes ordinaires ne pouvait que basculer.

Voici leur histoire.




Tout commence par une contravention dans les rues de San Francisco. John et Stan se garent en pente, de bonne foi mais les roues dans le mauvais sens. Au petit matin, une amende de 50 dollars traîne sur le pare-brise de leur surpuissante Mazda 3. Ils ne peuvent l'accepter. Ils quittent la ville immédiatement pour se réfugier à l'ombre du soleil de Long Beach, 700 kilomètres au sud.


Là-bas, ils se cachent dans le petit 5 pièces de Carmen, la petite amie de Stan. Mais un voisin les reconnaît et comme tout bon Americain, les dénonce. La police intervient discrètement, fidèle à ses habitudes.



John et Stan sont envoyés à Alcatraz. San Francisco n'est qu'à 2,4 kilomètres. La vue sur la baie est splendide mais les prisonniers n'y goûtent que quelques secondes, à travers une fenêtre lors de leur promenade hebdomadaire. Les pélicans qui ont donné leur nom à l'île (alcatraces en espagnol) ont disparu. Les soldats qui occupaient l'ancien fort militaire aussi. Restent les détenus, les mâtons et l'article 5 du règlement:"Vous avez le droit d'être logés, nourris, blanchis, et soignés si nécessaire. Rien d'autre ne vous est dû."






Enfermés, épiés, John et Mason font comme les 1576 autres criminels passés par ces murs. Ils lisent. 75 à 100 livres par an. Ils y trouvent des renseignements sur les 14 tentatives d'évasion précédentes. Theodore Cole et Ralph Roe parviennent à rejoindre le rivage en décembre 37. Ils plongent. On ne les a jamais retrouvés. Sachant que la température de l'océan ne dépasse pas 12 degrés, que l'eau des douches est volontairement chaude et que les courants sont puissants, l'hypothèse la plus plausible les concernant est la mort. En juillet 45, John Giles décharge du matériel militaire sur le dock. Il vole un uniforme et embarque. Problème: le bateau ne va pas vers la ville mais sur une autre île. Il est arrêté sur place.





En mai 46, six prisonniers volent des armes et prennent des otages. L'armée intervient. Deux gardiens sont tués et trois prisonniers abattus durant cette "Bataille d'Alcatraz". Deux mutins sont condamnés à mort. John et Stan passent tous les jours devant les traces d'explosions grenades sur le sol. Ils choisissent une autre option.


En juin 62, Franck Morris est le cerveau d'une évasion ingénieuse. Les frères John et Clarence Anglin l'accompagnent. Pendant plusieurs mois, les trois hommes creusent un tunnel derrière la bouche d'aération de leur cellule, selon toute probabilité avec une cuillère. Ils s'évadent à la nuit tombée tandis qu'un mannequin fait illusion dans leur lit. Le lendemain, une chasse à l'homme géante ne donne aucun résultat. Ils sont aujourd'hui présumés noyés. Mais il y a quelques années, un enfant de 7 ans a démontré qu'il était possible de rallier la ville à la nage en moins d'une heure. Au cas où, un avis de recherche modernisé a été publié.


Le plan de John et Stan fonctionne comme prévu. Quelques semaines plus tard, ils racontent leur évasion dans un livre envoyé par email à une célèbre maison d'édition. S'inspirant des travaux de Michel Foucault et Jeremy Bentham, Les insurgés dénonce la logique panoptique du gouvernement américain. John Mason et Stanley Goodspeed l'accusent d'avoir mis en place un système de surveillance permanent et injuste des citoyens, utilisant la tolérance zéro comme outil de terreur. La thèse des auteurs, c'est que la paranoïa engendrée par cette peur d'être en faute entame la liberté individuelle. Le succès du livre oblige la Cour Suprême à revenir sur la condamnation des deux hommes, enfin blanchis et indemnisés à hauteur de plusieurs millions de dollars par l'administration américaine.


Stanley Goodspeed travaille aujourd'hui comme consultant pour Hollywood.
John Mason a rejoint la police de San Francisco.



2 commentaires:

Julien a dit…

Je n'avais pas réalisé que la visite d'Alcatraz devait s'apparenter à un pélerinage à la Mecque pour toi, mec.

Toujours interessant et fascinant ces histoires d'évasion. J'avais bien aimé le film avec Clint !

Sinon, tu as su ce qu'avait fait le type en bas de chez toi pour mériter un tel déploiement de police ?
Il a marché sur la pelouse au moins, non ?

Loïc a dit…

Quoi qu'il ait fait, la police a eu raison d'intervenir.