"Le Monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page." Saint Augustin.

dimanche 17 novembre 2013

Si près, si loin


Elle ne vit qu'à deux heures de route mais Dora* ne reverra peut-être jamais son fils. Entre Luis et sa mère, il y a la frontière la plus fréquentée du monde, la douane de Tijuana. 


Luis est un wetback (dos mouillé), terme péjoratif voire carrément raciste désignant les 11 millions d'immigrés illégaux aux États-Unis. S'il retourne chez lui, il dit adieu à sa femme, ses trois enfants et sa vie telle qu'elle est. Dora ne peut pas lui rendre visite. Il y a quelques années, elle a essayé de traverser illégalement. Depuis, ses demandes de visa touriste sont systématiquement rejetées. 

Leurs échanges reposent donc sur Maria. Ce matin-là, elle quitte Los Angeles aux aurores, dans le pick-up de son mari, plein à rabord. D'origine mexicaine mais citoyenne américaine, elle n'a absolument rien à craindre. Au bout de l'autoroute 5: Tijuana, un autre pays, un autre monde. Les panneaux publicitaires pour les chirurgiens esthétiques le disputent à des enseignes pour dentistes et des pharmacies discount pour attirer les frustrés du système de santé américain. L'herbe impeccablement tondue des belles banlieues de San Diego est remplacée par un bordel plus latin. Tout ça en 3 minutes. Nulle part ailleurs dans le monde, il n'y a un contraste si immédiat. 







Maria retrouve Dora juste après le poste-frontière, à Revoluçion, une avenue de magasins de souvenirs et de boîtes de nuit où la jeunesse californienne vient s'encanailler. La bière et les filles y sont moins chères. A l'horizon, derrière une arche immense, devenue le symbole de la ville, on devine les Eats-Unis. Les rabatteurs s'abattent sur tout ce qui ressemble à du gringo, invitant à entrer dans leur restaurant, à prendre une photo avec un âne peint en zèbre ou à acheter un chapeau de cow-boy.













Le Ford F 150 roule maintenant le long d'un canal crado, sosie de la Los Angeles River. "Je suis dans la voiture de mon fils". Dora s'accroche à ce qu'elle peut. Pemex, le Total mexicain, vend son litre 85 centimes d'euros. Le Français croit au miracle. Le Mexicain tire la langue. L'essence coûte à peine plus de l'autre côté du Rio Grande. Après avoir dépassé une Renault Sandero, Maria s'approche d'une colline. Au sommet, "Jésus est le Seigneur" écrit en grandes lettres blanches. En bas, un chemin poussiéreux et des images d'Epinal de la pauvreté. Genre le gamin au visage sale qui joue avec une flaque d'eau. Dora ouvre la porte de chez elle. 20 mètres carrés à tout casser. Un rideau sépare le salon de la chambre, l'évier de la cuisine sert de lavabo. "Ce n'est pas très grand mais c'est chez moi", s'excuse-t-elle presque. Au mur, une photo de mariage de son fils et d'autres de ses petits enfants. Des affaires traînent un peu partout. Ça tombe bien. Luis a chargé des meubles dans le pick-up. Pas sûr qu'il y ait la place dans l'appartement. "Je les prends quand même sinon il ne voudra plus rien m'envoyer." Des vêtements,  des mouchoirs et un arbre de Noël en plastique complètent la livraison.






Maria et Dora se mettent en route pour Rosarito, pueblo touristique de bord de mer. C'est Juan, le compagnon de Dora qui prend le volant, une Tecate à la main, la ceinture en option. Dans un pays où la guerre contre la drogue a fait 70000 morts en 10 ans, la police a mieux à faire que de s'occuper de sécurité routière. Une usine Hyundai rappelle les maquiladoras des cours de lycée, ces usines installées à la frontière pour profiter d'une main d'œuvre bon marché tout en restant proches du marché US. Un paysage de montagnes désertiques défile à la vitre puis l'océan apparaît. Les studios Fox où James Cameron a tourné Titanic ont vue sur le Pacifique. Comme en Thaïlande et ailleurs, Rosarito n'est qu'une grande avenue pas très jolie, cernée par des hôtels, des restaurants et des échoppes d'artisanat plus ou moins local. 






Un taco et un tour sur la plage plus tard, la sortie est déjà terminée. Pour ne pas arriver au bout de la nuit à Los Angeles, Maria doit hâter le pas. Le temps de passage à la douane à Tijuana bat des records. 2 heures d'attente minimum. Dans l'embouteillage monstre, les vendeurs ambulants passent entre les files proposant à boire et à manger. Un tableau de la vierge, des lampes de poche, des essuie-glaces, des couvertures à l'effigie de l'équipe de foot locale, des chargeurs de téléphone, des fleurs, des chiots...Un mendiant ou un laveur de carreaux surgit de temps en temps. De l'autre côté, la riche Amérique attend. Et un fils pense à sa mère. 





* les prénoms ont été modifiés

1 commentaire:

Julien a dit…

Ca a l'air pittoresque comme tout ce petit village.