"Le Monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page." Saint Augustin.

dimanche 25 juin 2017

Voïvodies


En 1939, au moment où l'Allemagne attaque la France, Alex Duda, immigré polonais arrivé dans le pays quelques années plus tôt, s’engage immédiatement pour défendre son pays d’accueil.
Il est rapidement fait prisonnier dans la poche de Dunkerque en 1940 et envoyé comme prisonnier en Allemagne.
Débrouillard, il devient vite l’homme à tout faire du camp, commissions, coiffeur, livraisons, etc et se lie d’amitié avec un jeune Allemand.
Il organise alors avec celui-ci, qui lui fournira carte, faux papiers, boussole, vêtements, son évasion.
Roulant à vélo le plus souvent de nuit et se cachant le jour, et non sans épisodes rocambolesque (il passera la nuit dans un fossé à côté d’une patrouille allemande ou il échappera à un contrôle d’identité dans un train en se réfugiant dans le wagon des allemands pariant qu’il n’y serait pas contrôlé) , il rallie la frontière et est pris en charge par la Résistance. Il passe alors la plupart de la guerre caché.
Une fois la guerre finie, il se marie avec une Française, Odette, et s’établi à Auxerre où il sera vendeur de surplus militaire américain sur les marchés. Ce sera d’ailleurs le premier à vendre des jeans Levis.
Il a deux filles, Françoise et Maryse, et un ami, Michel, le mécanicien à qui il loue un garage dans sa cour.

En 1953, il accueille la petite Nicole, 16 ans, orpheline qui va de foyers en foyers depuis son plus jeune âge. Nicole n’a pas la vie facile et sert le plus souvent de bonne à tout faire corvéable à merci dans toutes ces « familles d’accueil ». Outré des conditions dans laquelle Nicole vit, mangeant à peine à sa faim, lui et sa femme décident alors de la sortir de la DASS et de l’accueillir au sein de leur famille. Il adoptera d’ailleurs Nicole officiellement en 1989, faisant d’elle sa fille légitime.

Lorsqu’il travaille sur ses voitures, Michel remarque vite Nicole et il en tombe amoureux. Le sentiment est réciproque et bien qu’ils aient 7 ans de différence, ils se marient en 1955. L’union voit rapidement naitre deux enfants, Marie-Christine et Jean-François. Marie-Christine aura un fils, Julien, l’auteur de ces lignes.

Toute cette histoire pour dire que la Pologne a toujours eu une place particulière dans la famille et qu’il était enfin temps que je m’y rende.

A priori, la Pologne, ça ne fait pas rêver grand monde comme destination de vacances.
Moi le premier. Et sans dire que j’y allais à reculons, je regrettais un peu de ne pas avoir choisi un endroit plus fun pour cette semaine de vacances de juin que je m’octroyais avec ma femme sans les enfants.

Mais bon, le pays avait quand même quelques arguments : Cracovie dont tout le monde s’accordait à dire que c’était magnifique, les mines de sel de Wieliczka que je voulais visiter depuis longtemps et Varsovie qui fait partie de ces villes de l’est avec une histoire tragique et forte. Sans compter que c'est la patrie de Copernic (et de Chopin, autre star nationale).


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En parlant d’histoire, faisons notre petit écart culturel habituel.

Quand on s’y intéresse un peu, on découvre que la Pologne n’a pas une histoire des plus heureuses en Europe.
Entouré de grandes puissances, conquis et partagé alternativement depuis 700 ans entre la Prusse/Allemagne, la Russie et l’Autriche, ils ne sont véritablement et durablement indépendants que depuis la chute de l’URSS en 1991.

Le pays atteint son apogée aux 15e et 16e siècle après l’union de la Pologne avec le Duché de Lituanie pour former la République des Deux Nations.
Mais seul pays catholique en Europe de l’est, tentant de sortir de l’influence du Saint Empire Romain Germanique au sud, coincé autour d’une Prusse qui veut s’étendre vers l’est, d’un empire russe qui veut augmenter sa zone d’influence à l’ouest, faisant face au monde orthodoxe et paien (pays baltes) voire musulman avec les conquêtes turco-mongoles, il lui est bien difficile de survivre sereinement tout au long de son Histoire.

C’est son invasion par l’Allemagne en 1939, imitée quelques jours plus tard par la Russie qui la prend à revers, qui marque le déclenchement de la seconde guerre mondiale. La moitié de la Pologne est annexée par l’Allemagne nazie tandis que l’autre est intégrée à la Russie soviétique. Le gouvernement polonais part en exil à Angers.

La Pologne devient alors le terrain principal de la mise en œuvre du génocide des Juifs, notamment par la création de camps de concentration dont les plus connus sont Auschwitz-Birkenau, Sobibor ou Treblinka.
Les Juifs sont parqués dans des ghettos dont celui de Varsovie reste un des plus célèbres, notamment par l’insurrection qui y a été mené – sans succès - en 1943.

Question insurrection, c’est toute la ville cette fois qui va se lever quelques mois lus tard contre l’occupant Allemand entre aout et octobre 1943 pour tenter de se libérer avant l’arrivée des Russes communistes.
L’armée polonaise de l’intérieur va connaitre quelques succès au début de l’insurrection mais elle ne pourra tenir bien longtemps face à la machine de guerre allemande mieux équipée, armée, entrainée. Cela se soldera par la mort de 200'000 personnes et surtout la destruction de 90% de la ville en représailles.

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Il est à noter que l’Armée russe attendait délibérément aux portes de la ville sans apporter d’aide aux Polonais afin de laisser les élites non communistes se faire éliminer.
On comprend que les Polonais gardent une certaine rancune envers le voisin russe…

Le musée de l’Insurrection est un incontournable de la ville qu'il ne faut pas manquer pour prendre quelques baffes.

C’est donc une ville de Varsovie complètement reconstruite dans les années 50 que l’on visite aujourd’hui.

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La vieille ville a été refaite à l’identique à partir de photos et de peintures, tant et si bien que l’Unesco a déclaré cette reproduction au patrimoine mondiale de l’humanité. Les artisans polonais du bâtiment ont d’ailleurs acquis une certaine renommée internationale dans la reconstruction et il furent appelés de par le monde sur des chantiers similaires.

N’ayant aucune idée de tout ça, je m’attendais à trouver une ville clichée des pays communistes, avec des vieux bâtiments délabrés, de l’architecture massive toute stalinienne et pour citer le grand analyste Hubert Bonisseur de la Bath, "des gens tristes, qui ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair".

Quelle ne fut donc pas ma surprise en découvrant une vieille ville tout simplement magnifique.
On oublie très vite que tout est refait façon Disneyland et on prend plaisir à admirer ces bâtiments colorés et ces rues baroques pleines de petits restaurants.

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On y trouve la place du marché, le château royal ou encore la cathédrale Saint Jean.

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Place du marché, refaite à neuf, voir un peu plus haut la même place fin 1945

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La vieille ville se poursuit par l’avenue Krakowskie Przedmiescie (très difficile à placer au Scrabble), ou Voie Royale, qui est une sorte de Champs Elysée polonais. En remontant cette avenue on se retrouve dans la Varsovie moderne avec ses gratte-ciel en verre ou son metro.

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Le bâtiment le plus emblématique reste le Palais des Sciences et de la Culture, cadeau de tonton Staline à la ville et qui n’a pas spécialement la faveur de ses habitants.

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Haut de 231m, on y a une vue plutôt sympa depuis la terrasse.

La Vistule est le fleuve qui traverse la ville et ses rives constituent un lieu apprécié de la jeunesse locale pour sortir le soir et s’envoyer des grosses bières sur des péniches-bar.
Je trouvais le concept pas mal et regrettais que ça n’existe pas en France…jusqu’à ce que je découvre la semaine suivante que ça se faisait déjà sur les quais du Rhône à Lyon -_-. Pouf pouf.

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La siréne de la Vistule, fondatrice légendaire de la ville

Poursuivons avec Cracovie.

L’ancienne capitale de la Pologne avant le 16e siècle se situe à 300km au sud de Varsovie.
On a ici une ville de province au charme indéniable.

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On retrouve dans le centre la grande place du marché , avec sa cathédrale et la halle aux draps, sorte de galerie commerciale avant l’heure occupé désormais par les vendeurs de souvenirs.

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Le château du Wawel, ancienne demeure des rois, n’est pas sans rappeler vaguement le Kremlin avec ses constructions en brique rouge et les églises dans son enceinte.

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Sérieusement, il a fallu pas moins de 9 photos demandées à 3 personnes différentes pour obtenir cette photo. 
A priori, nous avoir de plein pied sans couper le chateau ou l'église relève du prix Pullitzer...

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Au pied de ce château, trône le Dragon de Cracovie qui crache des flammes à heures régulières.

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La Vistule (toujours la même) coule encore ici et il est toujours agréable de se poser dans une péniche pour se boire quelques bières (toujours les mêmes) au bord de l’eau.

Clairement une des plus belles villes d’Europe de l’Est qu’il m’ait été donné de visiter.

A ce sujet, je fais une petite parenthèse. En Europe occidentale, on a tendance à juger nos voisins orientaux avec toute la condescendance que notre statut de riche pays influent le permet. On reste souvent arrêté sur une image pauvre, limite sous-développée des pays en question, certainement dû des décennies de désinformation pendant la guerre froide. En réalité c’est quasiment l’inverse dont je suis témoin à chaque fois. Moderne, raffiné, culturel, pas ou peu d’insécurité ou d’incivilité, transports bien organisés, communication faciles grâce à une connaissance de l'anglais de tout le monde. C’est nous qui devrions prendre quelques leçons là-bas.

Parenthèse fermée et retour au sujet.

Un truc à noter et qui nous aura marqué pendant tout le séjour, c’est l’importante, que dis-je, l’immense population d’écoliers, collégiens, lycéens en sortie de classe qu’on aura croisé tout au long de la semaine dans tous les lieux où on se sera rendu. Pire que les touristes chinois et c’est peu dire.
Jamais vu autant ailleurs. C'est mignon au début mais vite chiant à la longue.
Bon, on ne va pas regretter que le système scolaire polonais tienne à enseigner à ses jeunes l’histoire et la culture de leur pays.

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Statue de l'Insurgent Boy, qui rappelle que les enfants aussi ont participé à la défense de la ville.

Il y a un important quartier Juif, Kazimierz, dont la synagogue, l’une des plus vieilles d’Europe se visite. Cracovie, notamment lors de la période de la République des Deux Nations, a toujours été très tolérante et a accueilli de fortes populations juives.

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C'est d'ailleurs à Cracovie que s'est déroulé le sauvetage de Juifs raconté dans la Liste de Schindler.
L'usine d'émail d'Oskar Schindler se visite à quelques pas de Kazimierz.


Il y a 2 sites d’intérêts autour de Cracovie.
Le premier, c’est le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau - dont je ne vous parlerai pas pour ne pas avoir pu y aller - et le second est la mine de sel de Wieliczka que je vais détailler davantage.

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Cette mine est la plus ancienne mine de sel d’Europe, en activité depuis le 13e siècle et arrêté seulement récemment. Elle descend à 200m sous terre, couvre 9 niveaux et s’étend sur près de 400km de galeries. La mine se visite et permet d’admirer beaucoup de sculptures et de salles mais elle est surtout connue mondialement pour son église Sainte Kinga entièrement taillée dans le sel du sol au plafond en passant par les bas-reliefs. Elle est située à 150m de profondeur. Tranquille les mecs.

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On y trouve également un sanatorium et une salle de concert harmonique.

Bonne surprise au final que ce petit séjour. Je reste convaincu qu'on peut faire mieux en destination de vacances mais il y a un réel intérêt à y faire un passage, ne serait-ce que pour briser quelques clichés sur l'Europe de l'Est.

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