"Le Monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page." Saint Augustin.

lundi 5 novembre 2012

Mon pote Ramon

Il y a des types qui ne bougent jamais de chez eux et il y en a d'autres qui vont voir ailleurs ce que le monde leur propose.
Parmi ces gens, il y en a qui sont des voyageurs normaux, qui planifient leur trajet, leurs hôtels, se laissent quand même un peu de latitude mais toujours sous un certain contrôle.

Et puis, il y a les autres. Ceux qui partent. Qui osent. Qui vont où l'envie les porte.
Qui disparaissent aussi pendant 2 ans et qui un jour vous envoie un mail.
C'est le cas de mon pote Ramon.



"Hola chicos

Je vous devais depuis longtemps cette lettre. Je suis de retour d'un long 'pélérinage'. Je suis pas bon pour les récits, contrairement à Julien, mais je vais faire de mon mieux.

J'ai voyagé au Brésil rejoindre un ami d'enfance; il est parti là-bas (crise en Espagne oblige) à la recherche d'opportunités. ça s'est bien passé pour lui; il s'est marié à une brésilienne (pratique pour les papiers!) et il a créé une petite entreprise. C'était à Tres Lagoas, une ville dans l'état du Mato Grosso do Sul. Une ville rurale, plate, sans histoire, sans intérêt mais qui connaît une croissance énorme. La chaleur était infernalecomme si un démon sadique tenait une loupe géante sur ta têteDu coup, on passait une bonne partie de la journée sous la douche. Ca explique aussi pourquoi les stations à essence de la région disposent d'un espace douche pour les clients!

Les gens étaient simples, chaleureuxsans les ambitions absurdes que nous avons en Europe. La vie était dure pour certains mais ils gardent une foi énorme en Dieu et ils remercient Dieu pour tout "Graças a Deus" répètent-ils. Mon ami et moi avons pris plaisir à cette vie monotone, simple, sans complication.  Les jours de plus grosse chaleur on contemplait au loin les nuages se former sur la rivière du Parana. On savait que la nuit on serait gâtés par une pluie tropicale, qu'on recevait comme de l'eau bénite.

Deux mois après je pars à Sao Paulo.... 
Vol de retour en Espagne. Je suis dans la salle d'attente. L'embarquement est annoncé. Soudain une voix dans ma tête me dit "QUEDATE". "Mais ma valise est dans l'avion" pensé-je. Le voix me répète, autoritaire, "QUEDATE".  Je me lève comme un automate, prends le chemin de sortie de l'aéroport, puis un bus pour Barra Funda, la station centrale de Sao Paulo. Et là j'achète un billet pour Belo Horizonte. Pourquoi Belo Horizonte? Je sais pas!, Peut être que le nom me plaisait bien. A partir de là, j'ai plus de plan; je parcours le pays toujours en direction Nord... parfois en bus, d'autres en autostop ou tout simplement à pied. Bientôt j'ai plus le sou... bon oui! je garde toujours un montant d'urgence pour un billet d'avion; c'est mon ¨stock de sécurit騠
Il y a des jours où c'est la grosse galère ; en Europe j'aurais pas survécu mais au Brésil c'est plus simple; la terre est généreuse, les gens sont généreux et je trouve toujours quoi à mettre dans la bouche. Sinon il y a toujours la diète du mangue: mangue le matin, mangue à midi, mangue le soir. On n'a qu'à les choper des branches des manguiers ou les ramasser du sol.  J'ai exercé les boulots les plus inattendus, plus ou moins sympas. Par moments j'en ai vraiment bavé. Mais une fois j'ai eu vraiment du pot. Je rentre dans une fazienda dans l'état du Goia pour demander du travail (Goia c'est pollo-paradise; l'état avec les plus belles femmes du Brésil). Je fais amitié tout de suite avec le propriétaire,  Senhor Souza, dont les aïeux étaient espagnols. Il m'invite rester dans sa fazienda. Il avait perdu sa femme récemment et il était content d'avoir de la compagnie. Deux semaines plus tard il doit partir en urgence à Sao Paulo et me confie le soin de ses terres ... et de ses deux filles!! Du bonheur... pour lo pollo aussi! Au retour il me propose de rester travailler avec lui et de me marier avec sa fille Juliana. J'hésite ... mais finalement je décide de poursuivre mon chemin.

Le corps est fatigué. Il commence à faiblir et il a déjà accumulé beaucoup de petites pannes. Et il faut que je prenne soin après tous les soucis de santé endurés avant de venir au Brésil. Je trouve un billet pour Mexico DF et je prends tout de suite la route pour Tijuana. Je fais halte une semaine a Culiacan, capitale de l'état de Sinaloa. C'est de là où sont issus les groupes narcos du Mexique.  On respire la peur, ¨être vif là-bas c'est un danger¨ disent certains. Un endroit où les enfants sont entraînés à utiliser les armes, où les gens portent le revolver sous le pantalon. Le deuxième soir je dîne à un resto, une discussion entre un client et le serveur commence. PUM! PUM! PUM! et la discussion se finit. Le client sors tranquillement et monte sur son gros pick-up... 
Deux jour après je prends le bus à Tijuana. C'est une ville immonde mais je suis heureux de retrouver Nallely et aussi de pouvoir commencer une vie "normale". Il y a un tissu industriel important dans cette région constitué de "maquiladoras". C'est le nom donne aux usines d'assemblage qui prolifèrent a la frontière. Elles sont issues d'un accord entre les EEUU et le Mexique; les composants traversent la frontière mexicaine sans avoir à payer de taxes, sont assemblés dans les maquiladoras et, aussitôt le produit est fini il doit retourner aux USA. Si vous voyez un appareil "made in mexico" il vient sans doute d'une maquiladora. Pour être clair, c'est des centres d'esclavage moderne. Des pauvres gens venus de l'intérieur et du sud du pays travaillent six jours par semaine, 9 heures par jour en échange d'une misère. L'équivalent à 40 euros la semaine, juste de quoi survivre. Je trouve rapidement du travail en tant que consultant en production. Les projets sont intéressants mais je garde toujours un goût amère. Et je me sens mal à l'aise avec les cadres mexicains, qui, sauf exceptions, sont aussi incapables que prétentieux et se font plaisir à humilier les travailleurs. Là tu te rends compte que travailler en Europe est un véritable luxe. Tous les râleurs chroniques qui sévissent en Europe devraient être déportés un temps dans une maquiladora; ils retourneraient doux comme des moutons.

Je fais quelques économies et je décide ouvrir un petit café. "Petit" car c'est à peine 25 mètres carrés, juste l'espace pour deux tables. Il est bien situé à côté des urgences de l' hôpital général. Deux jeunes femmes travaillent la journée puis j'arrive le soir vers 8 heures et je reste tard la nuit. Souvent je vois passer les voitures amenant des blessés de balle ou des gars qui ont été torturés. Elles sont suivis par un cortège de gros-pick pus avec les "compadres" des victimes. Etre narco dans ce pays, ça donne du prestige et du respect. Bien sûr il y a plein de niveaux dans l'échelle narco. Beaucoup d'enfants rêvent de devenir des gros narcos. Et il y a même des chansons à la gloire des narcos. Cherchez "narco corridos" sur youtube pour les "apprécier"

J'ai souvent des narcos moustachus au café qui planifient leur vengeance. Et ça frigorifie le sang!!! Si tu te fais choper par la bande rivale, tu peux prier pour être éxecuté d'une balle dans la bouche. Parmi les autres options: Te faire pendre d'un crochet et te faire démembrer progressivement. Ou bien plongée dans un bain d'acide, c'est propre et ça laisse pas de traces. Ou bien te faire couper los cojones, puis te les faire bouffer. Il y a aussi l'option française: se faire trancher la tête qui sera plus tard envoyée chez tes parents.... Et bien sûr tu vois faire ça à tes compagnons en attendant ton tour. 

J avais fait amitié avec pas mal de gens, surtout du personnel de l'hôpital. Parmi eux un jeune appelé Dani que j'appréciais énormément. Jusqu'au jour où il me liste les gens qu'il a tabassé à mort ou qu'il a condamné à une chaise à roulettes. Je sais plus quoi penser. J'espère que c'est pas partout comme ça au Mexique.

 Il y a juste un mois je conduis la VW Gol de Nallely (c'est bien Gol pas Golf!), en passant sous un pont je vois trois corps pendus. Deux hommes dont il ne reste que le tronc et la tête. Et une femme nue, les seins tranchés. Les membres coupés ont été lancés sur la route, que j'esquive au dernier moment. Je sors de la voiture, je me mets à vomir, puis pleurer. Et là j'en peux plus. Je décide de quitter ce pays de MERDE. Le jour d'après je confie le café à Nallely et à une amie. Et je me casse à San Diego où je reste chez un ami pendant deux semaines. Puis vol pour Barcelone. 

Je respire à nouveau. Et malgré ma condition précaire, je suis plus serein et content que jamais. J'ai commencé à chercher du boulot, en France et en Suisse... Je sais pas si ça va donner quelque chose mais si je trouve rien, il y a toujours le Brésil ou bien l'Inde. Deux pays que j'ai adoré :-))

Sans doute de votre côté il y a eu pas mal de nouveautes dans votre vie.Quels qu'elles soient, j'espère que vous allez bien.
 
Didier, si t'es toujours en Suisse, j'aurais peut-être l'occasion de te visiter. Julien, la Thaïlande c'est un peu loin en ce moment.... mais sans doute un jour.

Hasta pronto!!"

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un monstre de la planif, celui qui donne des news à tour de bras, une vie simple au final: tu veux un boulot? ok tu as demain; tu veux voyager? demain tu pars; tu veux une nouvelle vie? demain tu démissionne et tu te changes; tu veux passer l'hiver au soleil ou l'été à la neige; tu prends le billet qu'il faut dans al foulée.
Ce gars est un monument, extraordinaire avec des actes toujours surprenants...mais toujours présent même après 2ans, tu l'as bien dit Julien!